Archives mensuelles : octobre 2012

La poupée russe

poupée russe

Quelques jours après la rentrée, Karine a proposé aux enfants de venir se présenter et d’écrire leur prénom sur une affiche qui restera bien visible sur la porte de la classe. Il s’agit de travailler avec les enfants l ’idée du groupe et de développer le sentiment d’appartenance à ce groupe. Les enfants sont intéressés et certains proposent d’amener leur photo. Mais les choses se gâtent, certains enfants se moquent des photos de leurs camarades. Lorsque l’affiche est accrochée sur la porte, l’enseignante entend des réflexions désagréables sur sa photo. Finalement, trois enfants n’apportent pas leurs photos et Karine pense qu’ils craignent les moqueries.

 

Lorsqu’elle me raconte cela, je sens beaucoup de déception et un certain malaise chez Karine. Je lui propose de partir de son ressenti pour reprendre cela avec les enfants. De retour en classe, Karine demande aux enfants de s’exprimer sur ce qui a pu se passer pour eux lorsqu’ils ont collés les photos. Pas de réponse, les enfants semblent avoir « oublié »… alors, elle parle de ce qu’elle a entendu à propos de sa photo. « Moi à ce moment -là cela m’a blessé, je me suis sentie triste et en colère et je me dis que cela a pu être difficile pour les enfants qui eux aussi ont eu des moqueries. Alors je n’accuse personne mais je tenais à vous le dire ». S’ensuit quelques échanges et certains enfants peuvent reconnaître que ce n’est pas facile quand on se moque. Les enfants concernés se taisent. Nous présentons alors la petite Poupée Russe.

 

Je raconte « Voilà comment elle se présente en général, quand elle ne connaît pas trop les personnes avec qui elle est, quand elle ne sait pas encore si elle peut faire confiance et jusqu’où elle peut le faire. Peu à peu, elle peut montrer plus de choses d’elle, se découvrir un peu, accepter que l’on s’approche tout doucement de qui elle est. Et en donnant à voir qui elle est à l’intérieur d’elle, elle apprend aussi à se connaître. Elle se découvre, découvre ses richesses intérieures et ses parents, frères sœurs, amis, enseignants, ceux qui sont proches d’elle et qui l’aiment sont émerveillés. (en même temps on ouvre peu à peu les différentes poupées, jusqu’à la plus précieuse, toute petite au cœur de toutes les autres.) Mais elle doit aussi apprendre à se protéger, savoir ce qu’elle peut donner ou ce qu’elle veut garder pour elle. Ce qu’elle ne montrera peut-être à personne, ce sera son jardin secret, sa flamme intérieure qu’elle doit réchauffer et ne jamais laisser s’éteindre.

Mais ce qui se passe parfois, c’est qu’elle est triste et malheureuse. Beaucoup de personnes lui font du mal, se moquent, l’abandonnent, ne lui donnent pas d’amour, la tape, la font tomber, l’humilie. Elle ne peut pas avoir confiance, elle a peur. Alors elle remet toutes ses enveloppes, mais parfois cela ne suffit pas. Alors elle met un masque pour se cacher, ne rien montrer d’elle (je colle un masque en papier sur les yeux de la poupée). A force, elle ne sait plus qui elle est. Elle peut devenir méchante à son tour, taper, se moquer, insulter. Ou bien elle peut se recroqueviller dans un coin et vouloir disparaître. A l’intérieur d’elle, ça fait mal, ça brûle. Elle ne veut plus rien sentir, elle ne sait plus qui elle est. Elle ne sait plus comment faire pour retrouver la joie. »

Les enfants écoutent, attention, concentration, les yeux grand ouvert. Ils savent que l’on parle de l’essentiel, d’eux. Ils savent de quoi parle la Petite Poupée Russe et ce qu’elle ressent. Une enfant se demande comment elle va faire, si elle devient méchante, car elle va rencontrer d’autres méchants et ça n’ira pas mieux pour elle. Elle ajoute, « moi, il y tellement de choses qui me font peur et qui me rendent triste que je ne trouve jamais la joie ».Quelques échanges avec les enfants. Nous leur demandons de réfléchir à ce que chacun d’entre eux pourrait faire pour éviter qu’il y ait des choses blessantes entre les enfants, dans la classe. Puis nous en restons là.

Le lendemain, Karine observe les enfants devant l’affiche des prénoms. « Tu sais, j’avais dit ça parce que je croyais que tu étais fatiguée sur la photo. » Les enfants échangent calmement, se posent des questions, le ton est apaisé. Les enfants cherchent à se réconcilier, ils ont trouvé comment faire, cela ne leur est pas dicté par l’adulte. Pas de morale, pas de punition, pas d’injonction. « Juste » faire appel à leur capacité d’empathie, à la part d’eux-mêmes qui a besoin de reconnaissance et à leur responsabilité dans ce qui s’est passé. Et leur faire confiance.

La toile d’araignée (1)

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Les enfants sont très agités dans cette classe. Une fillette parle sans cesse d’une voie aigüe tout en se dressant sur son siège, un petit garçon assis en travers de sa chaise suce son pouce, un autre se retourne et parle avec ses camarades. Je propose un petit enchaînement de Qi gong puis le jeu de la toile d’araignée. Il est fort difficile pour les enfants de se poser, certains vont y parvenir durant quelques courtes minutes. Les filles sont beaucoup plus réceptives.
Nous parvenons à faire tisser la toile, mais au moment de la poser au sol, quelques garçons se jettent au milieu des fils et commencent à s’enrouler. Cela se passe très vite, un des enfants se retrouve étranglé par le fil de laine et les autres continuent de rire et de tirer dessus. L’enseignante intervient rapidement et coupe la laine autour du coup de l’enfant. Elle a eu très peur que l’enfant se fasse étrangler, l’enfant quant à lui dit que « ça ne lui faisait pas peur, c’était pour jouer ».
Au départ Olivia veut punir les enfants. Cela ne me semble pas approprié, il me semble que les enfants n’ont pas réussi à se contrôler, que leur excitation était trop grande et que cet exercice était aussi mal choisi. Je l’invite à repérer ce qui se passe pour elle et à le dire aux enfants. Revenue en classe, Olivia exprime sa colère et sa peur aux enfants. Elle dit qu’elle est triste car elle aurait aimé faire ce jeu avec eux et leur demande de réfléchir et d’écrire ce qu’ils pourront faire la prochaine fois pour que tout le groupe parvienne à faire ce jeu et à le réussir.

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Les enfants qui ont embrouillé les fils rendent feuille blanche. Embrouillage, c’est bien de cela dont il s’agit dans cette classe. Comme si tout était parasité en permanence dans la communication, les liens entre les enfants et l’enseignante, les enfants entre eux. Ces enfants qui ne sont pas en mesure de savoir comment faire autrement, paraissent eux-mêmes dans cet embrouillage de la pensée, du corps, de l’espace, du temps. Ils ne se sentent pas responsables de ce qui s’est passé, ne semble pas mesurer la gravité de ce qui était en train de se passer. Comme s’ils ne pouvaient distinguer leurs actes et la portée de leurs actes, de leur corps, de leur parole, de leur être. Ils sont dans l’agir mais ne sont pas acteur de leur vie.
Le fait que cet exercice ait échoué et aurait pu même « mal tourner » constitue notre point de départ. Ce qui échoue révèle un manque, une faille. Comment aider ces enfants à se reconnecter avec eux-mêmes, avec qui ils sont et les aider à se construire dans une relation apaisée à Soi et aux autres ? Comment désembrouiller le lien, pour lui redonner vie et efficacité dans la relation. J’ai l’impression que ces enfants ne sont pas « bordés », contenus, englobés dans quelque chose de rassurant. Peut-être devrait-on commencer par les remettre en contact avec de la douceur, du doux, du bon, du chaud, du tendre. Commencer la classe par une musique douce, lire une histoire, porteuse de sens, un conte, prendre une collation, faire un dessin sur comment je me sens aujourd’hui. Peut-être mettre en place, un cahier de dessin, sur lequel chaque jour ils pourraient dessiner cela. Peu à peu leur demander quelle est leur émotion associée à ce dessin. Quand une certaine sécurité sera revenue, ils pourront exprimer cela devant les autres. Les amener peu à peu à faire silence à l’intérieur, et éliminer ce qui parasite la pensée et agite le corps. Prévoir plusieurs temps de pose ritualisés dans la journée Ensuite dessiner leur animal du moment. Faire vivre cet animal. Dessiner sa famille. Comment fait-il lorsqu’il a peur. Qu’est-ce qu’il aime. Quels sont ses rêves, Etc