La poupée russe

poupée russe

Quelques jours après la rentrée, Karine a proposé aux enfants de venir se présenter et d’écrire leur prénom sur une affiche qui restera bien visible sur la porte de la classe. Il s’agit de travailler avec les enfants l ’idée du groupe et de développer le sentiment d’appartenance à ce groupe. Les enfants sont intéressés et certains proposent d’amener leur photo. Mais les choses se gâtent, certains enfants se moquent des photos de leurs camarades. Lorsque l’affiche est accrochée sur la porte, l’enseignante entend des réflexions désagréables sur sa photo. Finalement, trois enfants n’apportent pas leurs photos et Karine pense qu’ils craignent les moqueries.

 

Lorsqu’elle me raconte cela, je sens beaucoup de déception et un certain malaise chez Karine. Je lui propose de partir de son ressenti pour reprendre cela avec les enfants. De retour en classe, Karine demande aux enfants de s’exprimer sur ce qui a pu se passer pour eux lorsqu’ils ont collés les photos. Pas de réponse, les enfants semblent avoir « oublié »… alors, elle parle de ce qu’elle a entendu à propos de sa photo. « Moi à ce moment -là cela m’a blessé, je me suis sentie triste et en colère et je me dis que cela a pu être difficile pour les enfants qui eux aussi ont eu des moqueries. Alors je n’accuse personne mais je tenais à vous le dire ». S’ensuit quelques échanges et certains enfants peuvent reconnaître que ce n’est pas facile quand on se moque. Les enfants concernés se taisent. Nous présentons alors la petite Poupée Russe.

 

Je raconte « Voilà comment elle se présente en général, quand elle ne connaît pas trop les personnes avec qui elle est, quand elle ne sait pas encore si elle peut faire confiance et jusqu’où elle peut le faire. Peu à peu, elle peut montrer plus de choses d’elle, se découvrir un peu, accepter que l’on s’approche tout doucement de qui elle est. Et en donnant à voir qui elle est à l’intérieur d’elle, elle apprend aussi à se connaître. Elle se découvre, découvre ses richesses intérieures et ses parents, frères sœurs, amis, enseignants, ceux qui sont proches d’elle et qui l’aiment sont émerveillés. (en même temps on ouvre peu à peu les différentes poupées, jusqu’à la plus précieuse, toute petite au cœur de toutes les autres.) Mais elle doit aussi apprendre à se protéger, savoir ce qu’elle peut donner ou ce qu’elle veut garder pour elle. Ce qu’elle ne montrera peut-être à personne, ce sera son jardin secret, sa flamme intérieure qu’elle doit réchauffer et ne jamais laisser s’éteindre.

Mais ce qui se passe parfois, c’est qu’elle est triste et malheureuse. Beaucoup de personnes lui font du mal, se moquent, l’abandonnent, ne lui donnent pas d’amour, la tape, la font tomber, l’humilie. Elle ne peut pas avoir confiance, elle a peur. Alors elle remet toutes ses enveloppes, mais parfois cela ne suffit pas. Alors elle met un masque pour se cacher, ne rien montrer d’elle (je colle un masque en papier sur les yeux de la poupée). A force, elle ne sait plus qui elle est. Elle peut devenir méchante à son tour, taper, se moquer, insulter. Ou bien elle peut se recroqueviller dans un coin et vouloir disparaître. A l’intérieur d’elle, ça fait mal, ça brûle. Elle ne veut plus rien sentir, elle ne sait plus qui elle est. Elle ne sait plus comment faire pour retrouver la joie. »

Les enfants écoutent, attention, concentration, les yeux grand ouvert. Ils savent que l’on parle de l’essentiel, d’eux. Ils savent de quoi parle la Petite Poupée Russe et ce qu’elle ressent. Une enfant se demande comment elle va faire, si elle devient méchante, car elle va rencontrer d’autres méchants et ça n’ira pas mieux pour elle. Elle ajoute, « moi, il y tellement de choses qui me font peur et qui me rendent triste que je ne trouve jamais la joie ».Quelques échanges avec les enfants. Nous leur demandons de réfléchir à ce que chacun d’entre eux pourrait faire pour éviter qu’il y ait des choses blessantes entre les enfants, dans la classe. Puis nous en restons là.

Le lendemain, Karine observe les enfants devant l’affiche des prénoms. « Tu sais, j’avais dit ça parce que je croyais que tu étais fatiguée sur la photo. » Les enfants échangent calmement, se posent des questions, le ton est apaisé. Les enfants cherchent à se réconcilier, ils ont trouvé comment faire, cela ne leur est pas dicté par l’adulte. Pas de morale, pas de punition, pas d’injonction. « Juste » faire appel à leur capacité d’empathie, à la part d’eux-mêmes qui a besoin de reconnaissance et à leur responsabilité dans ce qui s’est passé. Et leur faire confiance.

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