Archives mensuelles : mars 2013

Fabriquer un objet protecteur

Face à l’insécurité queIMG_0030 nous ressentons pour beaucoup d’enfant de la classe d’Olivia,     nous décidons de fabriquer un objet protecteur. Nombreuses sont les peurs et les raisons de se sentir en danger ou en insécurité. Cet objet symbolise tranquillité, sécurité, protection. C’est un support ressource, une précieuse alliance pour aller à la rencontre de soi et des autres. Les sociétés traditionnelles connaissent la puissance symbolique des objets rituels ; les enfants la perçoivent et la reconnaissent rapidement. Les objets fabriqués sont conservés longtemps, les enfants s’en servent dans les moments difficiles. Des enfants ayant participé aux ateliers, ont témoigné de la force soutenante et vive de tous ces objets après plusieurs années.
Je commence avec une saynète réalisée avec des peluches. Les animaux vivent bien heureux, entourés de leurs familles et de leurs amis dans la forêt. Une tempête se déclenche et tous les repères sont brisés, les animaux sont coupés de leur points de sécurité, ils se retrouvent seuls, leur environnement est détruit. Ils tremblent, se réfugient dans des cachettes et n’osent plus rien faire. Au bout de plusieurs jours et nuits, ils partent à la recherche de leurs parents, de leurs amis et d’un endroit pour vivre. Peu à peu, ils se rassemblent, se sentent plus fort à plusieurs. Dans une grotte ils découvrent un objet magique qui leur redonne force et courage, qui les protège ; qui leur redonne confiance. Ils peuvent alors continuer leur route et retrouver leurs parents perdus. A la suite de cette histoire, nous prenons le temps d’un retour sur soi : « Comme les animaux de l’histoire, m’est-il arrivé d’avoir peur, de me sentir seul, perdu, isolé, sans repère. Pour me sentir plus solide lorsque cela arrivera, pour retrouver du courage, je vais fabriquer un objet de protection. Il représente quelque chose qui peut me protéger ou protéger mes proches. Je le fabrique en y mettant ce qu’il y a de fort en moi. Ensuite je peux le montrer au groupe. puis, je le garde précieusement dans un endroit en sécurité, je peux l’emmener dans mon cartable, dans ma poche, le garder sur moi, ou le donner à une personne que je voudrais protéger. »

Différents matériaux sont mis à la disposition des enfants, coquillages, plumes, boutons, papiers colorés, ficelle, raphia, tissus, pommes de pin, perles, galets, toute sorte d’objet glanés au fil de nos ballades et trouvailles. Leur enseignante a ramené des chutes de tissus chatoyants que sa mère utilise pour fabriquer IMG_0029des vêtements. Ce matériel stimule l’imagination, il porte des souvenirs, une histoire.

Fatoumata demande si nous allons lui apprendre à faire cet objet. Cela correspond bien au modèle proposé par l’école, l’enseignante, montre donne un modèle et les enfants réalisent ou reproduisent. Ici nous faisons appel à leur imagination, ressentis, perception. Cela peut être un peu déroutant au début.

Jasone veut fabriquer une voiture. Pourquoi une voiture ? Est-ce que cela représente ses peurs ? j’en parle avec lui. Il y peu de temps, il a eu un accident avec sa maman, il était dans la voiture, quelqu’un est rentré dans la voiture, il a eu très peur. Cet objet de protection pourra l’aider à affronter cette peur qui revient quand il est en voiture maintenant.

Hervé me demande de l’aider à faire un nœud avec la ficelle autour des papiers qu’il a assemblé. « Je voudrais bien savoir faire les nœuds, comme ma maman ». Je lui montre, il essaye, puis fait tout seul. Lorsqu’il a fini son objet, je lui propose d’aider les autres à faire les nœuds s’ils en ont besoin. Cet enfant très agité et bagarreur d’habitude va être très actif pour aider ses camarades et aussi très fier de réussir et de se sentir utile. Il n’y a pas eu de conflits durant toute la matinée.

Dylan est un petit garçon très insécure. Toujours en recherche de l’attention de la maîtresse, le pouce dans la bouche, remuant sans cesse sur sa chaise, toujours prêt à se lever et à aller agacer son voisin… il ne parvient pas à prendre du matériel assemblé sur la table prévue à cet effet. Il grappille le matériel des autres, « vole » une plume par ici, un bout de tissus par là. Cela déclenche des cris, plaintes, débuts de bagarres. Je demande à Dylan de rendre le matériel et l’accompagne vers la table. Difficile de faire pour lui, de s’approprier quelque chose en son nom, difficile de choisir, trouver la sécurité nécessaire pour cela ? Dylan a besoin d’aide pour y parvenir. Une fois le matériel choisi, Dylan va fabriquer son objet dans le plus grand calme, très concentré. Les autres enfants s’apaisent autour de lui, certains lui propose le matériel qu’ils n’ont pas utilisé « parce qu’il le voulait tout à l’heure ».

Assia est une « primo-arrivante ». Avec ce barbarisme, sont nommés les enfants récemment arrivés en France. Ils bénéficient de temps de scolarisation avec un enseignant spécialisé pour les enfants d’origine étrangère dans cette situation. Au moment de montrer son objet, nous constatons qu’Assia n’a rien fabriqué. Pourtant elle avait choisi des morceaux de tissu et nous l’avons vue très active pendant la matinée. Olivia me fait remarquer qu’elle a aidé les enfants et n’a pas eu le temps de faire pour elle. Trouver sa place, s’intégrer au groupe, sortir de l’exil, construire la relation du soi au nous demande de gros efforts à Assia. Au point de s’oublier … nous remercions Assia d’avoir aidé les autres mais insistons pour qu’elle fasse cet objet pour elle. Un temps sera prévu ultérieurement.

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Se mettre en lien avec ses ressentis et ses capacités créatrices, affronter une grande peur et pouvoir la dépasser, se faire confiance et découvrir que je peux réussir puis être utile aux autres, se recentrer sur soi en sécurité, faire sa place dans le groupe tout en étant dans la reconnaissance de ce que je suis et de qui je suis… en fabriquant leurs objets de protection, les enfants ont pu repérer ce qui fait leur force et va leur le permettre de se sentir plus en sécurité avec eux-mêmes et avec les autres.

Les objets ont été placés par chacun dans des endroits protégés. Certains enfants dont le milieu familial est trop perturbé ont préféré le laisser à l’école.